La
chaleur était intense, on ne pouvait échapper à la moiteur de
l'air. Cette sensation pénible d'être emprisonné dans son corps,
alors que notre instinct nous pousserait à nous transformer en autre
chose, un serpent, un scorpion, juste pour expérimenter un
organisme adapté à ces conditions. Kevin sortit de la yourte et
huma cet air qui n'en était quasiment plus. Les anciens nous
avaient prévenus qu'ils avaient mis en route un cataclysme. Les plus
jeunes nous ont dit que c'était réversible. Et nous, la génération
décisionnelle, celle qui pouvait tout infléchir, nous avons laissé
faire. Par facilité, par dépit, parce que...
Il
avait conscience, comme tous, que les excuses n'étaient que des
prétextes, que maintenant, en ce 6 janvier, il n'avait pas eu besoin
de four pour cuite la galette des rois. D'une part quelques morceaux
de papier aluminium suffisaient maintenant à assurer la cuisson
solaire de tout aliment, mais en plus le blé avait disparu. Ça fait
maintenant vingt ans que les grains ne poussaient plus dans la terre.
Trop de mutation, il a dégénéré. Mais la galette n'était
pas le plus important. il ne célébrait plus les fêtes religieuses.
Kevin
était enragé contre l'autorité, contre les autorités qui avaient
obligé, interdit, légiféré et tenté de juguler cet appel des
plus jeunes, cet avertissement des plus vieux. Inconscience ou
Alzheimer, ils avaient désinformé les plus crédules. Et
maintenant, chacun tentait de s'adapter le mieux possible. Lui rêvait
d'être ingénieur dans l'industrie automobile, pour travailler sur
les véhicules hybrides. Mais son rêve avait tourné court lors de
son premier emploi, quand on lui avait expliqué le principe
d'obsolescence. Il avit donné son opinion, il avait été renvoyé
avec des menaces à peine voilées. L'objectif n'était pas de sauver
la planète, mais de vendre. Il était jeune, il ne savait pas que
parfois il convient de se taire.
36°C
aujourd'hui, ce ne sera pas le bon moment pour faire des fromages,
les chevreaux prendront tout le lait. Les chèvres se moquaient bien du
principe d'obsolescence. Il les amène boire une heure par jour, à
la source qui n'est pas encore tarie, toute la communauté s'était organisée pour se partager l'eau. Il rêvait d'une belle maison
avec jardin et balançoire, il partageait une yourte avec trois
familles. Il voulait montrer le Monde à ses enfants, il n'avait pas eu
le courage d'en mettre au monde.
Alors
depuis cinquante-deux ans il regarde passer sa vie. De temps en
temps, des gens de la ville viennent s'installer avec eux, pour ne pas
mourir, et ensemble ils contemplent ce monde qui s'écroule, ce monde
qui renaît.