Face
à sa porte, Eva hésita. Elle avait encore la possibilité de fuir,
d'attraper un métro au hasard, un train, un avion. Elle pouvait,
avec sa carte bleue, son rouge à lèvre et son courage, remettre à
zéro le déroulement de sa vie. Elle pouvait trouver un poste,
n'importe lequel. Elle avait toujours eu du travail comme elle le
voulait, elle savait faire basculer la décision d'embauche en son
sens.
Elle
se voyait jeter son téléphone portable dans la boite aux lettres de
l'appartement avec les clefs, laisser la porte de l'immeuble chic
claquer bruyament derrière son dos, enfermant en lui tant d'espoirs
déçus, l'attente d'un amour qui, elle le savait, ne viendrait plus
au bout de vingt ans de mariage, la reconnaissance de son existence,
elle qui passait comme une ombre dans la vie de son mari, de ses
enfants.
Elle
imaginait si bien son départ, sans retour possible, une nouvelle Eva
qui se construit sur ses propres bases, qui n'attend plus rien des
autres ; elle ne serait plus mère, ni femme de ménage, ni
infirmière, ni épouse qui prend soin de son mari, elle ne serait
plus réduite à ce cri "maman" qui était devenu une
exigence avec le temps.
Au
fur et à mesure des années, ses rèves s'étaient atténués. Elle
qui révait d'élan passionnés, elle n'avait eu que la tiedeur
conjugale d'un mariage arrangé. Ils vivaient en bonne intelligence,
mais elle, elle l'aimait à la folie. Elle avait ensuite espéré
dormir avec lui, puis être embrassée, et enfin, elle révait
simplement d'un regard amical. Voilà où en étaient ses rêves : un
regard amical de son mari.
Face
à la porte, figée, elle balançait entre entre ces deux décisions,
ou plutôt entre cette décision et ce non-choix qui avait déroulé
la moitié de sa vie dans une boite de quelques dizaines de mètres
cubes. Elle imagina, pour le plaisir d'y croire, la surprise,
l'affolement, puis la détresse de son mari, elle voulut le croire
passionné d'un amour perdu, il verrait bien, alors, la perle, la
merveille, la Vénus qui avait été sa femme !
Non,
c'est encore attendre quelque chose de lui.
Alors
que ses entrailles hurlaient à la fuite, son cerveau torturé
refusait désormais de lui montrer les possibilités d'une vie
nouvelle. Entre les deux le dialogue était impossible, il lui
fallait départager les deux voix !
Puis
elle se décida. Elle entra dans la boîte de quelques dizaines de
mètres cubes, elle posa ses clefs sur la tablette de l'entrée et
elle dit à son mari et à ses enfants qu'elle les aimait.
Elle
quitta la maison sans un mot de plus, et sans ses clefs. Des deux
voix qui hurlaient dans son corps, elle avait choisi celle du milieu,
celle du coeur.
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