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vendredi 9 janvier 2015

Les rêves d'Eva

Face à sa porte, Eva hésita. Elle avait encore la possibilité de fuir, d'attraper un métro au hasard, un train, un avion. Elle pouvait, avec sa carte bleue, son rouge à lèvre et son courage, remettre à zéro le déroulement de sa vie. Elle pouvait trouver un poste, n'importe lequel. Elle avait toujours eu du travail comme elle le voulait, elle savait faire basculer la décision d'embauche en son sens.

Elle se voyait jeter son téléphone portable dans la boite aux lettres de l'appartement avec les clefs, laisser la porte de l'immeuble chic claquer bruyament derrière son dos, enfermant en lui tant d'espoirs déçus, l'attente d'un amour qui, elle le savait, ne viendrait plus au bout de vingt ans de mariage, la reconnaissance de son existence, elle qui passait comme une ombre dans la vie de son mari, de ses enfants.

Elle imaginait si bien son départ, sans retour possible, une nouvelle Eva qui se construit sur ses propres bases, qui n'attend plus rien des autres ; elle ne serait plus mère, ni femme de ménage, ni infirmière, ni épouse qui prend soin de son mari, elle ne serait plus réduite à ce cri "maman" qui était devenu une exigence avec le temps.

Au fur et à mesure des années, ses rèves s'étaient atténués. Elle qui révait d'élan passionnés, elle n'avait eu que la tiedeur conjugale d'un mariage arrangé. Ils vivaient en bonne intelligence, mais elle, elle l'aimait à la folie. Elle avait ensuite espéré dormir avec lui, puis être embrassée, et enfin, elle révait simplement d'un regard amical. Voilà où en étaient ses rêves : un regard amical de son mari.

Face à la porte, figée, elle balançait entre entre ces deux décisions, ou plutôt entre cette décision et ce non-choix qui avait déroulé la moitié de sa vie dans une boite de quelques dizaines de mètres cubes. Elle imagina, pour le plaisir d'y croire, la surprise, l'affolement, puis la détresse de son mari, elle voulut le croire passionné d'un amour perdu, il verrait bien, alors, la perle, la merveille, la Vénus qui avait été sa femme !

Non, c'est encore attendre quelque chose de lui.
Alors que ses entrailles hurlaient à la fuite, son cerveau torturé refusait désormais de lui montrer les possibilités d'une vie nouvelle. Entre les deux le dialogue était impossible, il lui fallait départager les deux voix !

Puis elle se décida. Elle entra dans la boîte de quelques dizaines de mètres cubes, elle posa ses clefs sur la tablette de l'entrée et elle dit à son mari et à ses enfants qu'elle les aimait.


Elle quitta la maison sans un mot de plus, et sans ses clefs. Des deux voix qui hurlaient dans son corps, elle avait choisi celle du milieu, celle du coeur.

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